2021 - Interview : quand la mécanique s’intéresse aux harpistes
Chez la musicienne et le musicien, la répétition de mouvements rapides et répétitifs et les forces nécessaires pour faire vibrer l’instrument peuvent causer des pathologies musculo-squelettiques. Au sein de l’équipe Lutheries – Acoustique – Musique (LAM) / Institut Jean Le Rond ∂’Alembert, Jean-Loïc Le Carrou porte un projet transdisciplinaire financé par le Collegium Musicæ pour comprendre l’influence du cordage des harpes sur le risque de développer ces pathologies.
Découvrez l'interview du chercheur à l'occasion de la fête de la musique 2021 !
Un projet Musique et Sciences : quand la mécanique s’intéresse aux harpistes
Maître de conférences à l’Institut ∂'Alembert, Jean-Loïc Le Carrou travaille sur l'acoustique de la harpe de concert. Pour ses recherches, il s'est intéressé à la façon dont les harpistes pinçaient les cordes de l’instrument. Il a alors fait le constat que les cordes des harpes sont extrêmement tendues et nécessitent d’importants efforts articulaires : « Près de 3⁄4 des harpistes interrogés indiquaient souffrir de douleurs récurrentes », souligne le chercheur. Parmi ces douleurs : des tensions dans le dos, les épaules, le cou, mais aussi des tendinites aux doigts, aux poignets, une inflammation des articulations et des muscles extérieurs de la main.
Jean-Loïc Le CarrouCes pathologies liées à la pratique instrumentale sont similaires à celles que l’on retrouve dans le milieu sportif, mais les musiciennes et musiciens professionnels en parlent très peu. Jouer de la harpe sollicite certains muscles à plus de 50% de leur capacité, alors qu’ils ne le sont qu’à 14% pour la guitare électrique ou à 36% pour le piano
Fort de ce constat, il a monté un projet, financé par le Collegium Musicæ, en partenariat avec une biomécanicienne de l’université Sorbonne Paris-Nord, Delphine Chadefaux et des artistes du Pôle Supérieur d’enseignement artistique Paris Boulogne-Billancourt. Les chercheurs et chercheuses ont mesuré l'influence de la tension des cordes sur l'activation de quatre muscles fléchisseurs et extenseurs des doigts et du poignet chez neuf harpistes. Pour cela, ils ont testé trois cordages différents : un cordage en boyau dont la tension est moyenne et qui est privilégié par les harpistes pour des raisons acoustiques ; un cordage en nylon, plus souple ; et un cordage en fluorocarbone, un matériau plus récent dont la tension est forte.
Si les chercheurs et chercheuses savaient que jouer fort nécessitait une activation intense des muscles, ils se sont aussi rendus compte que jouer pianissimo demandait à l’instrumentiste de développer une coordination musculaire spécifique : « jouer doucement nécessite une plus grande précision et donc d’augmenter le contrôle de son jeu par des stratégies de coactivation musculaire », explique le chercheur.
Ils ont aussi remarqué que plus le cordage était souple, avec une tension faible, plus le contrôle du jeu devait être important et plus l’instrumentiste devait solliciter ses muscles pour obtenir l'interprétation et le son souhaités. Ils ont également mis en lumière le fait que chaque matériau possédait ses propres spécificités acoustiques, mais aussi des conséquences musculaires spécifiques :
« certains muscles sont sollicités de façon intensive avec un cordage en nylon ou en fluorocarbone, alors que les cordes en boyau vont activer d’autres muscles », ajoute le chercheur.
Ces recherches permettront d’élaborer, à terme, des réflexions sur la pédagogie et sur la facture instrumentale de l’instrument en alimentant le dialogue avec les fabricantes et fabricants d'instruments, les harpistes, mais aussi les enseignantes et enseignants de harpe.
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