2019 - Faire revivre les instruments de musique oubliés
Retrouver les sons et les techniques de jeu d’instruments de musique rares et anciens, c’est l’une des missions de Jean-Philippe Échard, conservateur au Musée de la musique !
À l'occasion de la fête de la musique 2019, découvrez l'interview du chercheur sur l'étude et reconstitution d'un baryton historique.
Jouer et conserver les instruments anciens, un défi pour les conservateurs
Au sein de la Cité de la musique-Philharmonie de Paris, le Musée de la musique a une double mission : d’une part, conserver les 7 000 instruments et objets d’art de la collection nationale. D'autre part, les faire vivre en permettant au public de profiter, lorsque c’est possible, de l’expérience sonore et des techniques de jeu pour lesquels ils ont été conçus.
Mais faire jouer l’instrument, c’est aussi prendre le risque de le dégrader de façon irrémédiable. Car pour un violon ou une guitare, cela implique de retendre les cordes et de mettre en tension le chevalet, pour une flûte, de souffler avec l’air chaud et humide de la respiration, etc. Tous ces changements rapides de température, d’humidité, de pression peuvent provoquer des chocs qui risquent de fendre le bois ou d’endommager la structure de l’instrument.
« Nous avons montré que la simple transpiration des violonistes pénétrait dans les bois et les vernis de leur instrument, et y déposait des sels minéraux de façon lente mais irréversible.»
C’est pourquoi, lorsque les instruments sont trop fragiles pour être joués, la fabrication d’un fac-similé reste la meilleure option.
La reconstitution historique d’un baryton
C’est le cas du baryton conservé au Musée de la musique. Utilisé aux XVIIe et XVIIIe siècles, cet instrument à cordes ressemble à une viole de gambe. Tombé en désuétude au moment de la Révolution française, son originalité tient à la présence de cordes additionnelles, appelées « cordes sympathiques », qui enrichissent le son produit par celles frottées par l’archet. L’exemplaire que possède le musée est un spécimen rare qui date de 1723. Endommagé par trois siècles d’histoire, il ne peut être remis en état de jeu.
Afin d’étudier cet objet patrimonial et d’en proposer une reconstitution qui puisse être utilisée par un musicien ou une musicienne d’aujourd’hui, l’Équipe Conservation Recherche du Musée de la musique a choisi, avec le soutien du Collegium Musicæ, d’unir ses forces à celles du LAM/∂’Alembert et de l’IReMus.
Lieu de partage intellectuel, le Collegium Musicae permet de structurer et de rendre plus visibles des collaborations entre différents champs de recherche. C’est un laboratoire d’idées pour développer de nouveaux projets innovants et inciter les équipes à penser de façon transdisciplinaire.
Lire dans la matière des instruments pour retrouver leur histoire
Au Musée de la musique, scientifiques, conservateurs et conservatrices travaillent main dans la main pour analyser l’aspect patrimonial des instruments à travers des sources historiques à la fois écrites, iconographiques ou matérielles. Dans le projet de reconstitution du baryton, ces éléments aideront à mieux comprendre quelles étaient les pratiques musicales de cet instrument, ses techniques de jeu, son ergonomie, etc.
Elles et ils ont également mis au point des procédés scientifiques et des techniques d’imagerie grâce auxquels elles et ils pourront décrypter l’évolution matérielle du baryton dans le temps, identifier les différentes strates qui le composent, déterminer ses parties d’origine et repérer d’éventuelles traces de réparations. À l’aide de l’endoscopie, elles et ils seront en mesure d’explorer l’intérieur de l’instrument et de sa caisse de résonance. Certains types d’imagerie, dont la radiographie, permettront de voir des retouches de vernis, d’autres de dater et d’identifier des essences de bois. Des méthodes d’analyse vibratoire seront utiles pour évaluer les propriétés mécaniques des matériaux utilisés.
« Alors que les luthiers du passé n’ont laissé que très peu de traces écrites sur leur travail, c’est dans la matière même des instruments que l’on peut aller lire leurs techniques de fabrication, leurs intentions, leurs gestes, etc. », indique le spécialiste.
En parallèle de cette approche patrimoniale, l’IReMus va mettre au service du projet ses compétences en musicologie. À travers l’analyse de la musique pour baryton, des partitions, mais aussi des traités musicaux de cette époque, ils vont identifier les caractéristiques musicales de l’instrument : quelles notes pouvait-il jouer ? comment s’intégrait-il aux ensembles musicaux ? comment accordait-on ces mystérieuses cordes sympathiques ? Elles et ils chercheront également à retrouver l’esthétique, les timbres qui étaient recherchés aux XVIIe et XVIIIe siècles.
Le LAM/∂’Alembert s’intéressera, quant à lui, à l’aspect acoustique de l’instrument. Il étudiera la façon dont se transmettent les vibrations à travers les différentes parties du baryton. À terme, leur travail permettra notamment de modéliser et d’expérimenter l’enrichissement sonore apporté par ces cordes sympathiques qu’il n’est plus possible de faire vibrer sur l’exemplaire d’origine.
Jean-Philippe ÉchardC’est la compréhension croisée de chacune de ces approches qui va permettre d’aboutir aux conclusions les plus pertinentes et d’obtenir la reconstitution la plus juste du point de vue historique, acoustique et musicologique, explique le conservateur. Celle-ci sera ensuite confiée à un luthier ou une luthière.
À l’occasion des 300 ans du baryton conservé au Musée, Jean-Philippe Échard espère d’ici trois ans proposer aux étudiantes et étudiants du Collegium Musicae un fac-similé du baryton qui leur permette de retrouver les sonorités et les gestes de la musique du siècle des Lumières. Il envisage également d’organiser, des concerts et des enregistrements à destination des mélomanes et du grand public pour faire connaître et revivre cet instrument d’exception.
Téléchargez l'intégralité de l'interview de Jean-Philippe Échard, ci-dessous :