Gonzalo VILLEGAS CURULLA : Reconstruction numérique de l'acoustique de la Chapelle de la Sorbonne et de l'orgue Dallery
Diplômé en 2013 de musicologie à l’Université Autonoma de Barcelone, Gonzalo Villegas Curulla est également pianiste, une pratique qu’il a débuté dès 1998 à Tarragone en Espagne, dont il est originaire. Il s’est formé auprès d’Anna M. Morlanes puis de Sebastian Colombo au Centre d’étude Pianistique et a assisté à des masterclasses avec, entre autres, Jasinsky, Weiss, Mosca et Moguilevsky.
En 2017, il obtient un diplôme de composition au Conservatori Superior del Teatre del Liceu, après lequel il rejoint le groupe Acoustique et Audio de l'Université d'Edimbourg pour le master en acoustique et technologie musicale. Son mémoire, réalisé sous la direction de Michele Ducceschi et de Stefan Bilbao, portait sur la modélisation physique de l'interaction de la corde de piano avec le marteau et le couplage avec une plaque. Il est resté en Écosse pour une année supplémentaire en travaillant chez Mathworks avant de rejoindre Sorbonne Université en 2019 pour la préparation du doctorat.
Questions de recherche
Consacrée en 1326, la Chapelle de la Sorbonne était un édifice gothique en croix latine située au centre de l’actuelle Cour d’Honneur de l’Université. Détruit en 1626, alors que le Cardinal Richelieu était proviseur du collège de la Sorbonne, ce bâtiment originel est remplacé par une nouvelle chapelle construite par l’architecte Lemercier, destinée à accueillir la sépulture du Cardinal. En 1825, la Chapelle de la Sorbonne est dotée de son orgue construit par Dallery, l’inscrivant ainsi dans la tradition française de facture d’orgue aux côtés de Cavaillé-Coll (Notre-Dame de Paris), Clicquot (Sainte-Chapelle), Abbaye et Daublaine. Cet orgue a résonné par intermittence dans l’édifice pendant près de 25 années.
La thèse de Gonzalo Villegas Curulla, intitulée « Reconstruction numérique de l'acoustique de la Chapelle de la Sorbonne et de l'orgue Dallery », a pour objectifs, d'une part, de rendre audible la réponse acoustique de la chapelle de la Sorbonne et, d'autre part, de reconstruire le son de l’orgue.
Deux questions s'articulent dans cette thèse : d'une part, comment reconstituer virtuellement le son de l'orgue, à partir des éléments observables aujourd'hui, sachant que de nombreux tuyaux ont disparu ? Et, d'autre part, comment restituer la réponse acoustique de la chapelle ?
Dans l’approche de l’acoustique géométrique, la réponse acoustique de la salle implique donc la création d’un modèle dans lequel le son se propage sous forme de rayon dans le volume fermé de 14 000 m3 de la Chapelle de la Sorbonne. Cela implique également la simulation du temps d’arrivée du son à des endroits donnés ainsi que les pertes d’énergie, compte tenu des réflexions sur les différentes surfaces. La modélisation permet la recréation de la réponse impulsionnelle de l’espace sur lequel plusieurs attributs peuvent être mesurés, tels que la clarté et le temps de réverbération.
Situé au-dessus de l’entrée principale de la Place de la Sorbonne, l’orgue Dallery, de 8’, comprend 23 rangs (jeux). Ceci représente un buffet de 2x3x6m et 1400 tuyaux, dont 70 % sont des tuyaux à bouche et le reste des tuyaux à anches. Il s'agit de modéliser le comportement du jet d'air hydrodynamique et aéro-acoustique traversant la bouche du tuyau en prenant en compte :
- pour les tuyaux de cheminée, la différence de pression entre le réservoir, le pied et le résonateur de chaque tuyau;
-pour les tuyaux à anches, l’oscillation et le battement de l’anche.
Ce sont la longueur et le diamètre du résonateur du tuyau qui donnent les caractéristiques audibles les plus saillantes au timbre de chaque tuyau, mais il y a également une longue liste de nuances décrivant la géométrie qui interviennent dans le résultat final. Celles-ci trouvent des correspondances différentes selon les garnitures en vogue selon les époques et les factures des orgues.
Après la simulation des 1400 tuyaux et le système de soufflerie qui alimente l’orgue en air sous pression, il est nécessaire de considérer l’emplacement de tous les plans sonores à l’intérieur du buffet : récit, positif, grand orgue, pédale 1, pédale 2, montre. Il faut également considérer la manière dont le buffet dans son ensemble et chaque tuyau individuellement rayonnent – les deux grands volumes d’air étant couplés.
Gonzalo Villegas Curulla s'intéresse donc également aux apports de ces outils de simulation en terme de facture instrumentale (organisation des différents jeux dans le buffet, qualités sonores à différentes positions d'écoute, ..) et de recherche en musicologie (répertoire, interprétation, ..) .
Contexte
Les premières recherches dans le cadre du doctorat ont permis à Gonzalo Villegas Curulla de mettre en évidence une vaste littérature analysant la description du comportement des jets d’air couplés à un champ acoustique. Ces écrits, datés à partir des années 1950, trouvent dans les années 1980 et 1990 une application musicale dans la modélisation des instruments à vent, ressemblant à la structure et au fonctionnement d’une flûte à bec. Par la suite, il s’agissait pour Gonzalo Villegas Curula de comprendre les règles d’échelle pour les différentes tailles de tuyaux selon un facteur d’orgue, avant d’extraire les paramètres modaux de chaque résonateur afin de décrire leurs réponses pour chaque fréquence.
Il fallait, en suite, estimer et dimensionner les autres éléments de la géométrie, et enfin, intégrer tous ces éléments dans une solution permettant la simulation d’un signal de pression dans les deux extrémités rayonnantes d’une flûte ouverte. Des mesures de pression sur des échantillons de tuyaux d’orgue en fonctionnement ont aussi été réalisées. Ces mesures permettent, d’une part, leur comparaison avec le signal calculé et, d’autre part, d’élucider d’autres descriptions physiques correspondant au comportement à l’intérieur du pied du tuyau d’orgue. Ces mesures constituent la contribution originale de Gonzalo Villegas Curulla à la littérature des simulations d’instruments de type cheminée.
D’autres mesures ont été réalisées, en collaboration avec Priscilla Maria Machado dal Moro (doctorante au LAM/Institut ∂'Alembert) afin de comprendre, dans un premier temps, le comportement de rayonnement des fentes entre deux tuyaux de la montre et de le comparer avec les modèles théoriques. Dans un second temps, ces mesures ont permis d’observer la réponse d’un buffet de modèle réduit. Afin de valider ces derniers résultats avec une application de cas réel, Gonzalo Villegas Curulla et d’autres membres de l’équipe du LAM se sont rendus à la cathédrale Notre-Dame de Paris, dont l’orgue se trouvait dans les mêmes conditions que lors des mesures en laboratoire. L’excitation depuis l'intérieur du buffet vide de l’orgue Cavaillé-Coll dans la tribune a permis de mesurer la réponse acoustique depuis l’extérieur. À ces expérimentations s’ajoutent des mesures acoustiques, de la réponse de l’espace également, dans la Chapelle de la Sorbonne.
Laboratoires d'accueil
Cette recherche doctorale interdisciplinaire est dirigée par Benoît Fabre, co- encadrée par Brian Katz (équipe Lutherie-Acoustique-Musique - ∂’Alembert), et soutenue par l’Institut des Sciences du Calcul et des Données (ISCD) de Sorbonne Université.